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jeudi 9 novembre 2023

Dégustations visuelles !

 J'ai partagé avec des amis un moment délicieux grâce à Yolande Moreau et son dernier film La fiancée du poète où on retrouve certains de ses complices des Deschiens, (François Morel, Philippe Duquesne dans des seconds rôles)  mais dans des rôles improbables Sergi Lopez et surtout William Sheller en abbé plus que border line. 


 

Yolande est Mireille une femme tabassée par la vie (elle a fait de la prison et a été abandonnée par l'amour de sa vie). Elle revient dans la maision familiale sur les bords de la Meuse et sert les repas au restaurant des Beaux Arts de Charleville Mézières. Pour vivre et entretenir la grande maison elle loue des chambres à un trio de bras cassés et les quatre larrons s'entendent bien et se réconfortent. Il n'est pas possible d'aller au-delà de ce descriptif sans déflorer l'histoire et gâter sa dégustation. Tout en effet se déguste de cet univers foutraque, de cette histoire abracadantesque et particulièrement allusions littéraires, musiques spirituelles et photographie magique. Hommage à  Irina Lubtchansky qui nous offre de pures merveilles et au montage qui autorise la lenteur. On sort du cinéma le coeur plein de la générosité qui imprègne chaque instant d'un film qui fait pourtant la part belle au mensonge, uniquement celui qui rend la vie plus belle. On peut écouter Yolande Moreau ici.

Autre film, autre histoire, autre leçon d'humanité "Second tour" de Dupontel. Au passage, j'aime bien les films d'acteurs qui se mettent en scène. Dupontel est un candidat à la présidence de la République en campagne à quelques jours de l'échéance. Par hasard, une journaliste placardisée pour cause d'insolence et mauvaise conduite (Cécile de France) est mobilisée avec son collègue (Nicolas Marié) pour suivre la campagne. Elle a une feuille de route avec les questions dont elle ne doit pas s'éloigner . Bien évidemment, elle va transgresser et découvrir le secret du candidat (qu'il ignore lui-même) et faire basculer une "campagne chiante" (sic) dans un tourbillon  d'événements tous plus improbables. On connaît le peu de crédit que Dupontel accorde à la politique politicienne mais son film aborde de multiples questions de société de façon drôle, légère, poétique et cependant profonde. Il annonce la couleur : comme il est dit dans son introduction, la seule manière de renverser le système est d'en faire partie. Mais le système ne lésine pas sur les moyens de barrer la route à ceux qui tentent de le renverser. C'est tout le propos du film.

 Second Tour (95’) - Film français d’Albert Dupontel

On peut rencontrer Dupontel qui se défend de toute intention moralisante. Il voulait créer une sorte de "roman de gare" dit-il. On souhaiterait que tous les auteurs de "roman de gare" aient son talent.

Ne pas oublier  notre vieux Ken Loach (87 ans) et son vieux chène "The old oak", une taverne fréquentée par des vieux mâles radoteurs. Une histoire d'amitié entre un vieil homme. TJ Ballantyne [Dave Turner] le tenancier  et une jeune femme syrienne immigrée Yara [Ebla Mari] . L'arrivée des immigrés dans le village défrise les habitants qui se sentent "envahis", alors même que le village est en perte de vitesse. La taverne elle-même est en mauvais état et son tenancier vieillisant sait qu'il ne pourra rien en tirer s'il cherche à la vendre. Evidemment une guerre sourde, à bas bruit va s'instaurer entre les deux communautés et Ken Loach filme au plus près les émois de ces "braves gens". Comme d'habitude, il met en scène la vie des gens pauvres, qui cherchent à s'en sortir par la solidarité, mais aussi qui développent des acrimonies à l'égard des étrangers. Scénario bien connu. Il en profite pour exposer dans l'arrière salle des photos des mineurs grévistes, dont les clients du pub ont fait partie et que la jeune photographe découvre avec émotion


Le film a été moins apprécié que les précédents, pourtant il est de la même veine, constat des dégats de la mondialisation et de la guerre qui ruinent les ouvriers au chômage et déversent sur les routes de l'exil les Syriens. On peut l'accuser d'angélisme, d'irréalisme, voire de mollesse ("un film morne" les Inrocks) . Pour ma part j'ai aimé la générosité opposée à la mesquinerie, la solidarité entre gens qui sont tous dans la dèche. La fin est un peu tire larmes, certes mais elle est aussi optimiste et en ces temps de déprime généralisée, ça fait du bien.

Enfin vu la série consacré à Agnès Varda sur Arte : "Sans toit ni loi" avec la jeune Sandrine Bonnaire (Mona) en vagabonde rebelle à toute obligation imposée, sale et joyeuse mais bien-sûr embarquée dans des plans dangereux et qui finit morte de froid dans un fossé. A l'opposé le film lumineux "L'une chante, l'autre pas" , deux films que j'avais appréciés. Le premier pour le jusqu'auboutisme du parti-pris et la manière de Varda. Elle suit son héroïne en même temps que les villageois et les marginaux que la jeune femme cotoient au cours de son errance qui témoignent du court moment où ils l'ont approchée. Le second parce qu'il décrit la vie de deux jeunes femmes dont l'amitié se scelle autour du drame de l'avortement subi avant la légalisation. Une ode à la sororité avant l'invention du terme sur un mode joyeux. J'avais oublié les chansons, je les ai ré écoutées avec plaisir.


 

Entre les deux, un documentaire "Viva Varda" ou Agnès se raconte au fil d'interviews collationnées et de témoignanges de ceux qui l'ont accompagnée dans sa quête d'images où fiction et documentaire s'entremèlent. Tous lui reconnaissent un tempérament autoritaire de celle qui sait où elle veut aller. Mais comme le dit l'un d'eux, "reprocherait-on à Godard ou à Truffaut leur autorité. Sa fin de vie est trufée de récompense, qu'elle reçoit avec malice et humour.Il ya aura eu un grand amour, Jacques Demy  même s'il a été chahuté par les amours homosexuels de Demy. Deux enfants qui prolongent son oeuvre (photographe, plasticienne, réalisatrice et scénariste).  Une belle vie de création.   

          

      

vendredi 16 septembre 2022

Le tendre narrateur

 Je viens de découvrir Olga Tokarczuk, écrivaine polonaise qui a été nobélisée en 2018*. je n'avais pas eu la curiosité d'approcher ce qu'elle a écrit. Je viens de réparer cet oubli en lisant le petit opuscule qui rassemble, sous le titre que je lui ai emprunté pour ce billet, son discours de reception  du Nobel,  suivi de deux autres textes. "Les travaux d'Hermès, ou comment, chaque jour, les traducteurs sauvent le monde",  un éloge de ceux "grâce auxquels les esprits parviennent à franchir les frontières entre différents mondes, et eux, par leur talent, leur savoir-faire, ils ont la possibilité de dépasser les frontières, de les abolir pour créer, dans les alambics de leurs ordinateurs, la pierre philosophale de notre temps: l'universel. Le troisème texte "La fenêtre"est une analyse très fine de cet événement inédit, la pandémie due au covid 19, ce qu'il a affecté de notre façon d'être au monde et en quoi il a inauguré une nouvelle ère dont on ne sait rien pronostiquer sauf qu'elle est à inventer puisque " telle de la fumée, nous voyons se dissiper notre conception de la civilisation, celle là même qui nous a structurés ces deux cents dernières années". 


 

Dans son adresse au public du Nobel (mais au-delà à tout lecteur),  Olga s'interroge sur le rôle de la littérature dans un monde sursaturé d'informations, un monde qui devient "une compilation de choses  et d'événements, un espace inerte dans lequel nous nous déplaçons, solitaires et perdus, bousculés par les décisions d'on ne sait qui, aliénés par une fatalité incompréhensible, avec le sentiment que des agents puissants de l'histoire ou du hasard se jouent de nous"  (...) Comment écrire, comment construire mon récit pour qu'il puisse porter cette immense constellation qui forme le monde? (...) un mode de narration juste qui éveillerait dans l'esprit du lecteur la perception d'une totalité, une capacité à réunir les fragments en un unique schéma, à découvrir des constellations dans les myriades d'événements. L'histoire serait tissée de sorte que soit évidente l'appartenance de tous et de toute chose à un imaginaire commun produit consciencieusement par nos esprits à chaque rotation de la planète."

Il s'agit d'inventer une quatrième personne du sujet, à la fois ancrée dans un vécu incarné et regardant le monde avec "tendresse", la forme la plus modeste, la plus désintéressée de l'amour qui porte une attention empathique à tout ce qui vit et participe du mouvement du monde.

Il se trouve que je pars dans quelques jours pour Wroclaw où habite cette belle personne. Je ne sais pas si j'aurais l'occasion de la rencontrer mais je vais entreprendre la lecture de ses ouvrages. Féministe, défenseuse des minorités,  elle n'est pas en odeur de sainteté dans son pays, gouverné par le très conservateur parti "Droit et Justice", mais est une autrice très aimée dans son pays et la plus traduite à l'étranger.

 

Un peu de beauté, en transition entre l'éloge du vivant et l'artiste mort

Peut-on  dire que Jean Luc Godard qui vient de mourir en choisissant son heure fut un tendre narrateur ? Il cherchait en tout cas à dépasser tout ce qu'il considérait comme le convenu du cinéma. C'était un chercheur halluciné. Mais l'homme ne m'était pas sympathique. J'ai gardé en mémoire le chagrin d'Agnès Varda qu'il a laissé à sa porte alors qu'il avait accepté de participer à son très beau film Visages Villages. Il avait sans doute ses raisons mais c'est un acte de vieil ours égoïste.

Pour un hommage à l'artiste, je passe la main à l'ami Dominique Hasselmann

Jean-Luc Godard et Anna Karina photographiés par Raymond Cauchetier, 1960

*Olga Tokarczuk reçoit son Nobel avec un an de retard, mais s'excuse de l'avoir annoncé deux heures trop tôt », Le Huffington Post,‎ (lire en ligne)


dimanche 14 mars 2021

Chronique d'une semaine ordinaire 2

 Lundi 8. J'ai un peu hésité, je dois l'avouer, à prendre ma voiture pour rallier à  Toulouse (40km de ma colline)  le rendez-vous annuel de la manif des femmes ( quand cela sera-t-il de la simple commémoration?). Beaucoup moins de cheveux blancs cette année, inquiétude de la promiscuité covid .

Beaucoup de jeunes femmes sans masques. ou avec, seins nus pour quelques unes,  beaucoup de pancartes LGBTQI. Pas vu mais il y en avait sûrement des LGBTQQIAAP, "inclut en fin  qui “se posent des questions” (Q pour “questionning” en anglais), les asexuel·le·s (A), les allié·e·s (A pour celles et ceux qui luttent auprès des LGBT contre l’homophobie) et les pansexuel·le·s (P pour les personnes qui peuvent être attirées par toute autre personne sans distinction de sexe ou de genre : femme, homme, non-binaire qu’elle soit cis, trans ou intersexuée)". Vous suivez ? Des hommes, quelques uns, fièrement accoquinés aux copines. Pas de doute, la relève est là. Très énervée.Chantant "nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et  en colère": beaucoup de slogans d̊̊̊éjà entendus : "on ne naît pas femme mais on en meurt ".  et celui d'Agnès Varda en effigie : "j'ai essayé d'être une féministe joyeuse mais j'étais très en colère". Celui-là me parle personnellement .




 
mardi 9.
J'ai finalisé le modelage de la main commencé la semaine précédente. Dessiné la ligne de chance en chantant l'air que serine Anna Karina  dans Pierrot le fou.

mercredi 10
visio le matin après un rapide marché et un passage à la banque où j'ai appris que certains intérêts m'étaient retirés, ce que je n'avais pas compris au moment de la transaction dont j'éviterai ici le détail. De la filouterie de la phynance.
Entamé le Journal d'Irlande de Benôite Groult, édité apès sa mort grâce à sa fille Blandine de Caunes. On retrouve l'amant, Kurt,  le vrai qui a inspiré le Gauvain dans  "Les vaisseaux du coeur", un homme en adoration et sexuellement performant mais hélas, selon Benoîte, parfaitement inculte. Un contraste  violent avec Paul Guimard, le mari, extrêmement cultivé mais désormais hors compétition. BG est parfois très cruelle dans la lucidité qu'elle cultive à l'égard des  atteintes de l'âge. 
 

Journal d'Irlande : Carnets de pêche et d'amour par Groult

jeudi 11.
Ecriture de l'édito de la prochaine Newsletter. A cette occasion j'ai réagi à un article de Ricardo Petrella, grand spécialiste des questions de l'eau et défenseur du droit universel à l'accès à ce bien commun essentiel. Au nombre des vilénies commises par le grand Kapital, le passage en Bourse de l'eau.
Ma conclusion a emprunté la sienne :« Historiquement, les griffes de la domination ont toujours fini par céder, tôt ou tard. Nous ne savons pas comment et quand les griffes actuelles céderont. Il est cependant certain que si les habitants de la Terre se rebellent et se battent pour la libération de la vie, le délai peut être raccourci et la rupture sera plus rapide, ce qui entraînera un véritable bouleversement du monde dans l’intérêt des 85% de la population mondiale qui en sont exclus aujourd’hui. »  
 
vendredi 12.
Rendez-vous chez l'ostéopathe. Je ne le connais pas encore et j'erre par conséquent dans le petit village où se trouve son cabinet. Je ne peux que constater les bizarreries de google map qui m'envoie à l'opposé de l'endroit où j'ai fini par me garer, préférant continuer ma recherche à pied. S'inquiétant du retard de sa patiente ,l'ostéo finit par m'appeler et me guider. Je découvre alors que je me suis garée en face de chez lui!!!  Est-ce que ces séances viendront à bout de mon mal de dos. En aurais-je plein le dos finalement ? Je crois bien et je suis actuellement en pleine mutation.  Mais je n'en dirai pas davantage aujourd'hui.
 
samedi 13.
Rencontre du groupe femme et littérature. Cette rencontre mensuelle se tenait auparavant le soir mais depuis le couvre feu nous avons opté pour le samedi après-midi. Séance un peu exceptionnelle consacrée à la BD, pour la première fois. Il n'y a pas trop d'adeptes dans le groupe. Isa nous a présenté Catherine Meurisse après avoir évoqué les BD préferrées de son enfance, ce qui a suscité une petite bataille : elle a osé dire qu'elle n'aimait pas Corto Maltese! 

La BD ça se partage, ça se prête, ça s’échange, ça fait discuter entre amis, ça circule, ça s’en va et ça revient. A mon époque d’enfance sans écran ou presque, c’était ce qu’on pouvait regarder à 2 en commentant, en attirant l’attention de l’autre sur un détail amusant et vice versa. Je n’aimais pas Corto Maltese, quelque chose dans cet univers était trop glauque et trop présent pour moi, ça me provoquait une sorte de mal de mer, de malaise physique.  

 
  Catherine Meurisse autoportrait


 



Charlie est toujours dans ma tête, bien sûr, et se glisse dans mes livres de manière très discrète. Je n'ai pas besoin de klaxonner, surtout pas. Mais j'en fais ma petite affaire discrètement. Le traumatisme se balade à l’intérieur de soi et est assez sournois. On ne le voit pas, mais il se manifeste dans n'importe quel endroit, ou à n'importe quel moment. Mais aujourd’hui je sais le mater un peu ou parfois même l'accueillir comme ça.

 Nous étions accueillies chez Danièle qui vit dans une très belle maison perdue dans la campagne à une heure de Toulouse. Le réunion s'est terminée un peu vite pour nous permettre de regagner nos abris avant les 18h00 fatidiques. Bien évidemment les rues sont encombrées et certainement pas vidées à l'heure dite.

Quelques liens pour approcher l'artiste 

https://www.youtube.com/watch?v=wcdmyzXDFDo

https://www.youtube.com/watch?v=QEpo603HCME

Dîner avec mon fiston et visionnage d'un documentaire de la série Planète sur l'Antarctique et l'Arctique dont la fonte contraint les morses à s'agglutiner sur des morceaux de terre d'où ils tombent dans le vide et se fracassent formant un terrible amas ensanglanté surlequel, dernière image du film, errait un ours blanc. Ces images m'ont fait penser aux très beaux films de Patricio Guzman Nostalgie de la lumière et 

le bouton de nacre

 

dimanche 14

Visité le très joli village Lisle sur Tarn. A l'entrée les gendarmes embusqués m'ont arrêtée et m'ont alcootestée. 0,8, ça correspond bien au verre de vin qui a accompagné mon repas de midi.

On reparlera peut-être de ce village. J'ai l'intention de quitter la campagne pour m'installer dans un village, près d'une gare et en capacité d'oublier la voiture. Eh oui, un chambardement  

 

jeudi 5 mars 2020

Escapade en nostalgie

Mon amie chérie voulait passer quelques jours à Sète. Retrouvailles avec la belle bleue, enfin un peu moins bleue, le temps était instable.


Propice pour la visite du Musée Paul Valéry. Plusieurs salles d'exposition Les collections permanentes se composent essentiellement d’œuvres du XIXème siècle

Le fonds illustre par ailleurs très largement les deux écoles sétoises qui, au XXe siècle, ont donné à la ville sa renommée dans le domaine des arts plastiques : le Groupe Montpellier-Sète (François Desnoyer Jean-Raymond Bessil, Gérard Calvet, Gabriel Couderc, Camille Descossy, Georges Dezeuze et Pierre Fournel) et la Figuration Libre (représentée notamment par des œuvres de Robert Combas et de Hervé Di Rosa). (extrait du site)


Gabriel Couderc (1905-94)  Le Port de Sète, le matin (1948)
La salle réservée à Paul Valéry  rassemble manuscrits et dessins du poète. les lettres à sa petite fille sont très émouvantes. 
Dans une salle, une vidéo nous donne à lire le fameux poème Le Cimetière marin pendant qu'il se déroule par la voix de Daniel Mesguish

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !  

Paul Valéry repose sous une stèle très simple dans le fameux  Cimetière Marin au bas du Mont Saint Clair d'où on peut contempler la mer. 

 

Cette toile de Robert Combas (capture personnelle, donc pas excellente) en hommage à Brassens et sa chanson "Dans l'eau de la claire fontaine", une manière de transition vers l'Espace qui lui est dédié.
On visite l'espace Brassens avec la voix de Georges dans les oreilles, on découvre des instantanés de sa vie qu'on ignorait, on contemple sa belle écriture serrée, on réécoute "Trompettes de la renommée" 
en se disant qu'il n'aurait pas supporté notre époque d'exhibition forcenée, on contemple les fossettes de ses sourires qui attestent de l'extrême générosité de l'homme en savourant la modestie de ses propos. Cette modestie qu'on retrouve sur sa tombe, dénichée après avoir tourné au milieu de marbres arrogants dans le cimetière près de l'étang où repose près de lui la femme qu'il n'a pas demandé en mariage mais qui a été unie à lui jusqu'à sa mort. Joha Heiman, dite Püpchen ("petite poupée"), née sur les bords de la Baltique en Estonie lui a sans doute inspiré plusieurs de ses plus belles chansons / poèmes.


Entre temps, un film, "Un divan à Tunis" avec l'actrice iranienne Golfisteh Faharani (magnifique). On a reproché au film ses clichés sur la société tunisienne. La réalisatrice est franco tunisienne et son choix de Golfisteh Faharani plutôt qu'une actrice tunisienne a peut-être pour motif de protéger l'interprète de problèmes dans son pays. C'est une comédie grave sur le retour au pays quand on n'y est pas né soi-même et le choc culturel que vit le pays lui-même qui redécouvre la liberté d'expression après des années de dictature tout en restant enfermé dans les dogmes d'une société patriarcale. Une illustration de la nostalgie des racines, d'un lieu où elle se croit "appelée pour faire du bien à tous ces gens qui n'ont pas de lieu où déverser les confusions, les incohérences qui les habitent.

En allant déjeuner à la Pointe Courte, nous retrouvons une autre de nos idoles défuntes, Agnès Varda qui a immortalisé ce quartier de pêcheurs, épargné par la spéculation immobilière, qui sent la vase et la sardine grillée. Le pont de chemin de fer trouble la beauté des lieux et le calme de l'eau.  Déguster une salade du pêcheur en contemplant la vue sur l'étang de Thau, il faisait encore soleil. Repartir en se promettant de revenir. Sète est une ville où on a envie de s'établir pour y couler de vieux jours heureux.



" Faites semblant de pleurer, mes amis, puisque les poètes ne font que semblant d'être morts." Jean Cocteau



jeudi 20 juillet 2017

La grande Varda

Elle est toute petite Agnès, cheminant aux côtés de ce grand escogriffe de JR, éternel feutre sur le crâne et lunettes noires rivées aux yeux. Des yeux qui savent regarder et nous donner à voir la beauté des visages dont il a développé un art de l'exposition, mêlant visages et paysages pour de troublantes associations.
JR est un artiviste, il est de ceux qui n'imaginent pas l'art autrement que provocateur, secouant les vieilles tranquillités, usant de beauté et d'humour pour montrer à rebours la violence faite aux humains par d'autres humains. 

Comment se sont-ils rencontrés Agnès et JR, le film ne le dit pas mais s'ouvre sur cette question de façon humoristique et n'y répond pas. Mais quelle rencontre! et quelle évidence dans cette rencontre ! Varda n'avait-elle pas honoré les murs dans un documentaire, parcours poétique et chaleureux entre les "murals" de Los Angeles et les artistes qui s'y exprimaient en 1980. Car Agnès est une pionnière, une des premières femmes à escalader la falaise à mains nus vers la reconnaissance du cinéma des femmes. Première aussi à avoir oser un film sur l'avortement et sous forme de comédie musicale "L'une chante, l'autre pas" en 76, fallait oser. Pionnière encore quand elle nous parle des SDF (Sans toit ni loi 1985) ou de ceux qui survivent en glanant (Les glaneurs et la glaneuse 1999,2000)
Deux amoureux des visages et des gens, deux artivistes, nous emmènent par monts et par vaux, de villages en visages dans un vagabondage poétique, drôle et tendre,  Visages, villages.
Complicité d'une vieille dame pétillante, porteuse d'une mémoire du cinéma et d'un jeune homme pétulant qui grimpe sur des grues pour coller les gigantesques photos qu'ils ont conçues et redonner vie à des murs morts ou à des lieux habités par ceux-là mêmes qui y seront exposés. Art de l'éphémère cultivés par les deux artistes dont une illustration est émouvante et surprenante : une photo  qu'Agnès avait réalisée d'un de ses amis photographe Guy Bourdin,  est installée sur un blockhaus que le maire a fait projeter du haut d'une falaise parce qu'il menaçait de le faire sans crier gare, fiché désormais dans le sable, telle une sculpture géante. La photo installée à grand renfort d'échelles, et en tenant compte des marées, il semble ainsi niché dans un berceau. Le lendemain la mer a ravagé le prodige.


C'est un road movie. Le Nord des corons où les vieilles photos de mineurs, conservées par leurs descendants se retrouvent agrandies ornant les murs d'une cité abandonnée sauf par une habitante, résistante, qui ne veut pas partir et ne peut cacher son émotion en se découvrant sur la façade de sa maison. Agnès et JR ne se contentent pas de photographier, ils parlent avec ceux qu'ils rencontrent, ils les associent à l'aventure et nous font ainsi découvrir dans ce Nord désormais mythique le métier disparu des mineurs.


Le Sud des champs de lavande et des fermes, où un paysan (peut-on encore l'appeler ainsi) gère 800 hectares à lui tout seul grâce à une batterie de méga machines gavées d'électronique. Il se dit le "passager" de son tracteur. Le contraste entre une ferme de chèvres dont on brule les cornes (pour qu'elles ne se blessent pas en se battant, c'est hargneux une chèvre), qu'on trait à la machine et une ferme où les chèvres affichent leurs magnifiques cornes et sont traites à la main (un instant de paix dit la fermière). L'air de rien les deux compères nous livrent un regard acéré et plein d'humour sur cette vie quotidienne où se jouent toutes les contradictions de notre temps.
JR, rompt le vœu d'Agnès de parcourir la France des villages pour l'entrainer au Havre dans le monde des dockers, c'est "presque" un village dit un des dockers. Et Varda la féministe choisit d'exposer les portraits des femmes de dockers dans cet univers de ferrailles, de grues et de piles de containers. Tout en haut de leur pile elles apparaissent en vrai dans le trou ménagé à hauteur de leur cœur par le retrait d'un des containers, joyeuses libellules. Univers poétique d'Agnès...
Les deux partenaires se chamaillent un peu, pour le plaisir. Il est tout de noir vêtu, elle affiche des tenues joyeusement bariolées. Pourquoi ne retire-t-il pas ses lunettes? Pourquoi a-t-elle cette drôle de couronne de cheveux mi blancs mi-rouges ? On assiste à la piqure dans l’œil qu'Agnès subit régulièrement pour soigner sa vue qui lui rend les choses floues et elle le prend avec légèreté évoquant la fameuse scène de l’œil fendu au scalpel dans Un chien andalou . Émouvants les gestes de JR qui ajuste pour elle les prises de vue. Ce duo d'une vieille femme (elle n'aime pas le terme de vieux amis, lui préfère celui d'amis de longue date) et d'un jeune homme qui cabriole en la promenant à tout allure, assise dans un fauteuil roulant, dans le musée du Louvre, est à la fois hilarant et profondément mélancolique (remake facétieux d'une scène filmée par Jean Luc Godard).  Les yeux et les pieds d'Agnès, JR les capture et ils iront voyageant sur un train de marchandises. Elle l'emmène dans un des plus petits cimetières qu'elle connaisse, où reposent Henri Cartier Bresson et sa femme. A-t-elle peur de la mort ? Non, elle voudrait juste mourir en restant vivante. La visite surprise à JLG, le "fantôme suisse" est ratée, Jean Luc, un des derniers survivants avec elle des cinéastes de la Nouvelle vague (elle en fait un éloge touchant), cet ami de longue date a gardé porte close. Agnès est blessée. La dernière scène du film est un bijou de délicatesse, accompagnée par la musique de M. 
Vivante, Agnès, elle l'est encore et ce film est la preuve qu'elle devrait le rester jusqu'au bout. Est-ce son dernier film ? Peut-être. En tout cas un film sur la transmission. JR et la grande Varda, quelle belle rencontre!

Pour mémoire mon article sur Les plages d'Agnès en 2009.

dimanche 4 janvier 2009

Un ludion nommé Agnès


Agnès s'appelait Arlette, son prénom lui déplaisait, elle en changea. Avant de devenir la Varda, la fille de la Nouvelle Vague, qui gagnait un début de renommée comme cinéaste avec Cléo de 5 à 7, un de ces petits films faits avec trois sous et qui firent le tour du monde. Agnès a quatre vingts balais et s'offre à cette occasion une sorte d'Amarcord à la Varda, aussi drôle et fantaisiste, qui met bout à bout ses souvenirs et son présent avec pour seul fil directeur la grâce de sa photographie, la magie de ses collages et un commentaire sans complaisance pour sa vieillesse (elle se promène en lisière d'un défilé protestataire en arborant une petite pancarte où on peut lire "J'ai mal partout"). Comme elle a été la photographe des années Vilar à Avignon, du temps de Gérard Philippe, Avignon lui a proposé d'organiser une rétrospective en 2007, elle nous fait partager un des rares moments de profonde nostalgie lorsqu'elle dépose des boutons de roses et de bégonias en hommage à tous ses chers disparus. Sinon elle est bien vivante, lovée dans le ventre de la baleine,(un hommage à Bachelard dont elle a eu le bonheur de suivre les cours à la Sorbonne) elle chemine avec et à côté des images dont elle nous livre une abondante moisson entre celles de ses films passés et celles tournées sur ses plages en France ou en Californie où elle revient sur Mur Murs ou rend un bel hommage à un couple de ses amis avec une pointe d'envie, vieillir ensemble, c'était leur projet à Jacquot de Nantes et Agnès .
On visite un peu son royaume rue Daguerre. C'est un souvenir pour moi aussi. Lorsqu'elle préparait son film "L'une chante, l'autre pas", mon amie Pomme et moi avions été photographiées par Agnès et nous figurons ainsi au générique, au titre des portraits de femmes tristes que le photographe suicidaire (dans le film) affichait en vitrine. Ce portrait je n'en avais pas de copie. Mon fils l'a récupéré il y a peu de temps en le repiquant grâce à l'outil magique du net. Nous avions en effet pris l'air le plus sinistre mais nous sommes tout de même dans la splendeur de nos vingt ans.
Les plages d'Agnès ce sont des immuables, le temps n'y a pas de prise. L'eau et le sable ne vieillissent pas eux. Et les films ? Ils vieillissent si on s'en tient à la forme des coiffures, la marque des voitures, le vocabulaire, le ton des voix. Mais ce qu'ils gardent en eux d'incorruptible, c'est la force du désir qui animait leur créateur. Agnès réussit à sauver même les morts-nés en disposant la pellicule telle une toile de tente où la lumière joue au travers du visage de Catherine Deneuve et Michel Picolli ("les créatures"), puisqu'elle a ajouté à ses multiples talents celui de plasticienne.
Ce film n'est pas une autobiographie même s'il nous donne à connaître la mère, les sœurs, les enfants, les petits enfants d'Agnès V, il est une promenade dans un labyrinthe dont nous reconnaissons quelques coursives, dont nous découvrons des pans entiers de perspectives et que nous empruntons à la suite d'une sorte de ludion qui monte et descend sur les vagues de son imagination, n'en fait qu'à sa tête, mélange allègrement les noms, les dates et les références. Etourdissant et délicieux.
Me revient en mémoire le bras d'honneur que le grand-père de Fellini faisait à la mort dans Amarcord. Agnès pour ses quatre vingts balais fait un joli pied de nez à la vieillesse.

Pour aller à la rencontre d'Agnès Varda
http://www.cine-tamaris.com/

Et pour lire une analyse pertinente (comme toujours) Mona Chollet