samedi 6 avril 2024

Voler au dessus des choses

 
 « La légèreté n’est pas la superficialité, elle permet de voler au-dessus des choses sans avoir de poids sur le cœur ». Italo Calvino

 Depuis toujours nous aimons les dimanches - 1

Vous qui me suivez savez que je ne rate jamais la sortie d'un livre de Lydie Salvayre. Que dire, sinon qu'avec son humour et sa férocité elle dézingue le système organisé par ceux qui vantent les vertus du travail, qu'elle appelle "les apologistes du travail des autres". Elle y oppose avec tendresse et drolerie tout le plaisir que nous procure le "faire niente". Nous aimons vaquer dans la maison, en chaussons éventrés et pyjama informe. et ce total insouci du paraître nous est à lui seul, une délectation.  
Elle nous livre un éloge de la paresse non sans citer les précurseurs dont une certain Horace "Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain".  Car la paresse n'est pas mollasserie poisseuse (et toute une litanie de synonymes dont elle a le secret) mais un art subtil, discret et bienfaisant, ni plus ni moins qu'une philosophie. "En ce monde furieux et plein de turbulences le recours à sa grâce nous est une bonté".
Elle fustige ces "apologistes du travail des autres" qui commencent à s'inquiéter, constatant que la fameuse "valeur travail " a du plomb dans l'aile et que perdre sa vie à la gagner (c'est moi qui cite Vaneigem) enchante de moins en moins. Tout le livre est une défense de ce droit à la paresse qui offre à chacun le loisir de penser et de se livrer aux activités qui lui tiennent à coeur. Citant abondamment écrivains et poètes elle apostrophe les apologistes avec cette verve dont elle est coutumière en y ajoutant une défense du rire. Une illustration parmi les nombreuses dont elle orne son propos. "Savez-vous messieurs que le paresseux, alias Bradypus tridactylus linnaeus est le seul animal au monde qui sourit tant sa vie est un enchantement".
Ce livre est lui-même un enchantement et devrait être mis en priorité entre les mains des plus jeunes pour qu'ils se sentent libres de ne pas se soumettre aux impératifs de consommation qui sont le début de l'esclavage et qu'ils cherchent à trouver une activité qui les exonère du tripalium.   
 



Le printemps est enfin là. Je découvre avec bonheur le jardin qui était totalement grillé quand il est devenu le mien. En particulier deux somptueuses pivoines arbustives. Mais ça bourgeonne à tout va et s'est ajouté un pommier, un pêcher, deux kiwis, des framboisiers et beaucoup d'autres plans qui prendront quelque temps avant de s'épanouir pleinement et de remplacer certains arbustes souffreteux. 
 
Vu ce film qui a sucité 5 millions d'entrées en Italie et on comprend pourquoi. Le sujet : le sort des femmes au sortir de la guerre, le machisme et la violence des hommes et l'accession des femmes à la citoyenneté. Noir et blanc semblable à celui du cinéma néoréaliste
 
 Il reste encore demain - photo

 Avec son premier long métrage C'é ancora domani, de son titre original, l’actrice et réalisatrice Paola Cortellesi a fait mouche en octobre dernier (...). Une gifle. Autant au sens figuré qu’au sens propre. Car c’est par une énorme baffe que s’ouvre le film : celle que se prend Délia, chaque jour au réveil, par son mari autoritaire et violent, avant de vaquer à ses occupations de mère de famille (elle n'est plus que ça aux yeux du monde) dans l’Italie d’après-guerre. Un geste qui donne d’emblée le ton du récit : dénoncer les violences conjugales par l’absurde, ridiculiser la brutalité pour n’en garder que l’emprise, jusqu’à transformer une scène d’agression en tango à deux.(Première)

Il reste encore demain est un film à recommander aux jeunes femmes pour une lecture avertie de ce qui les guette éventuellement quand le prince charmant devient le vilain mari. On a envie de leur chanter la chanson écrite par Boris Vian et chantée par Michelle Arnaud "Vous mariez pas les filles"

 


Lui, c'est Benjamin Tholozan, un comédien extraordinaire qui conte dans une épopée familiale et historique les affres de l'obligation de perdre son accent occitan et parler pointu (le titre du spectacle) pour pouvoir entrer dans le cercle des comédiens de theâtre. Il nous fait vivre la croisade des Albigeois, l'invention de la grammaire française, l'imposition de la langue française au détriment de toutes les autres parlées dans l'hexagone -et dans les terres colonisées-. Tout cela sur un mode truculent et en empruntant plusieurs accents y compris le quebecois. Un régal d'humour pour un propos pédagogique tout compte fait . 
Et encore la promesse de l'aube  adaptation du livre de Romain Gary. J'y suis allée un peu inquiète, j'ai tellement aimé ce livre que je craignais d'être déçue. En fait l'acteur, Frank Desmedt  incarne tous les protagonistes de cette autobiographie  et en restitue l'humour et le tragique avec justesse. Romain Gary est totalement respecté et pour qui a lu le livre, il y a un vrai boheur à retrouver la mère adulatrice de son ffils et le fils désespérément fidèle à ses attentes.

C'est une chance de pouvoir aller au théâtre sans pour autant aller à la ville. Je m'en réjouis chaque fois.
 
Il y a eu aussi le nouveau spectacle de ma fillote, mais j'en parlerai une autre fois plus en profondeur. Dire seulement qu'il est malin et drôle, tout en proposant une réflexion sur les stéréotypes, les préjugés. Mais tout est dit ici
 

vendredi 8 mars 2024

Un 8 mars casanier

Ce 8 mars, pour la première fois depuis des années, je n'ai pas participé à la rituelle manifestation. Fatigue, pluies intermittentes mais décourageantes, flemme de me rendre à Toulouse (40 km) malgré la réservation blablacar acquittée et donc perdue. A la place j'ai passé l'après-midi en compagnie de Madeleine Riffaud grâce à la BD à laquelle elle a finalement accepté de contribuer en racontant son histoire incroyable de traversée du siècle comme résistante, journaliste et mille autres activités. 

Voir tome 1 et tome 2

 Auparavant j'avais lu Les  linges de la nuit. Ci dessous un extrait de la présentation de l'éditeur

Résistante durant la Seconde Guerre mondiale, amie de Vercors et d'Eluard, Madeleine Riffaud couvre comme correspondante de guerre, de 1945 à 1973, tous les grands conflits, de l'Algérie au Vietnam. Elle réalise également des documentaires et publie, en 1974, Les linges de la nuit, devenu best-seller. Madeleine Riffaud se consacre depuis à l'écriture et multiplie les interventions dans les collèges, lycées, colloques, à la radio et à la télévision (succès médiatique du téléfilm de J. Amat, Avoir 20 ans dans Paris insurgé, diffusé sur France 2 en août 2004).  

Je vous laisse découvrir cette femme exceptionnelle. Elle a un été un peu victime du phénomène qui a consisté après guerre à présenter la résistance par ses héros masculins. Elle a été torturée et n'a rien révélé, condamnée à mort mais en a réchappé par chance, emmenée en déportation mais évadée. bref un exemple de courage inouï. Pour les linges de la nuit elle s'est engagée dans un hôpital comme personnel d'entretien. Ce qu'elle révèle de l'incurie qui y règne est d'une grande actualité. Madeleine y fait preuve d'une immense empathie pour ces corps blessés et ces âmes en peine. Elle avait connu les champs de bataille au Vietnam et en Algérie quand elle couvrait les funestes événements des guerres de décolonisation. Cette femme de 99 ans, devenue aveugle n'a rien perdu de sa pugnacité.

Je lis en même temps Zami, une nouvelle façon d'écrire mon nom d'Audre Lorde, sa « mythobiographie ».

Je ne ferai que citer une de ses phrases qui illustre son combat essentiel  

 "En chacun de nous, il y a une part d'humanité qui sait que nous ne sommes pas pris en charge par la machine qui orchestre crise après crise et qui réduit tous nos avenirs en poussière. Si nous voulons éviter que l'énormité des forces alignées contre nous n'établisse une fausse hiérarchie de l'oppression, nous devons apprendre à reconnaître que toute attaque contre les Noirs, toute attaque contre les femmes, est une attaque contre nous tous qui reconnaissons que nos intérêts ne sont pas servis par les systèmes que nous soutenons." Sister Outsider. Essays and Speeches. 

C'est aussi un jour important avec l'inclusion du droit à l'avortement dans la constitution. le gouvernement se rengorge en oubliant de rendre hommage aux députées qui ont été à l'initiative de ce progrès.

Catherine Ringer revisite la Marseillaise et se détourne de Macron quand il cherhe à l'étreindre   

C'était donc un 8 mars sans mes habituelles photos. De plus, je ne sais pourquoi, je ne parviens plus à télécharger des photos. Le système a changé et j'ai beau essayer, fiasco. Je vais tenter  de résoudre ce problème, mais pour le moment je vais me rendre à une conférence de Francis Hallé  in vivo. Vive les arbres!

A plus...


 

vendredi 16 février 2024

Le problème avec Judith

 

 

 Les récentes déclarations de Judith Grodèche ont fait grand bruit et entrainé à leur suite une kyrielle de commentaires et de prises de position pour ou contre les accusations qui pleuvent sur les hommes du milieu du cinéma. Je me suis décidée à mieux comprendre ce nouveau "me too" comme l'intitulent certains media. Je suis allée sur Arte.tv où on peut visionner la série qu'elle a réalisée Icon of french cinema  illustration à peine déguisée de son histoire : à quatorze ans elle est devenue "la petite femme "de Benoit Jacquot âgé lui de 39 ans, Elle a vécu avec lui pendant 6 ans puis s'est enfuie  après avoir vécu sous l'emprise d'un homme qui considérait qu'il lui apprenait à vivre tandis qu'il emprisonnait ses jeunes années et étouffait en elle ses désirs réels.  La série est assez auto centrée sur l'actrice et tandis qu'une sorte de reconstitution de son histoire se déroule  en parallèle, on assiste à ses  démélés avec sa fille, interprètée par Tess Barthélémy, sa propre fille, séduite elle-même par son chorégraphe plus âgée qu'elle. On suit ses difficultés à retrouver un rôle au cinéma, illustration du problème du "tunnel"des femmes de 50 ans aggravé de sa rupture de l'omerta qui règne dans ce milieu. A la suite de Judith Godrèche, plusieurs actrices, Anna Mouglalis, Charlotte Arnould et Anouk Grinberg. au cours d'un entretien à Médiapart témoignent de cette menace qui empèche la plupart de celles qui ont subi les agressions de réalisateurs ou d'acteurs de ne plus retrouver de rôle. Elles soulignent que ce n'est pas le seul milieu qui est concerné mais que c'est encore plus difficile pour des femmes qui sont précaires et qu'elles peuvent au moins se servir de leur notoriété pour mener campagne contre ces abus de pouvoir. Car il s'agir bien du pouvoir dont il est question. D'autant qu'en France le statut du réalisateur est hypertrophié, il est sur un piedestal, ce qui n'est pas le cas au Québec par exemple où la notion d'oeuvre collective est plus considérée. 

Il y a l'affaire Depardieu, je n'insisterai pas, sauf à dire que je trouve qu'il est devenu d'une laideur insupportable. En mai 2023 une Tribune des actreur.ices a été émise et signée  par 3700 personnes à ce jour dont un grand nombre de comédien.ne.s. J'ai repéré un petit nombre de noms masculins, les hommes peuvent être également victimes de chantage, dans un milieu où l'homosexualité est banale ou simplement choqués du comportement de leurs collègues. Anouk Grimberg a eu à coeur de ne pas incriminer toute la profession et a insisté sur le fait que la plupart des tournages se déroulent sans problème. Lio sur un autre plateau indiquait que les prédateurs sont connus et que des listes circulent pour mettre en garde les actrices quant aux manières désastreuses de certains mâles insupportables.

Citons un extrait de la tribune : Évidemment, la place que l’on offre aux personnes qui abusent, harcèlent, violentent, sur le tapis rouge de ce festival, ne vient pas de nulle part. C’est symptomatique d’un système global mis en place depuis des générations. C’est un système basé sur les principes de domination et de silenciation. La silenciation  de toutes celles et ceux qui travaillent dans le milieu du cinéma et qui n’osent prendre la parole par peur des impacts sur leurs carrières, leurs productions, leurs postes. Cette peur est un verrou puissant.

C'est tout un système à déconstruire, certaines femmes étant elles mêmes misogynes. Le patriarcat est imprimé en chacun des actes de la vie et agit à notre insu pour nous "aveugler", Télérama titre cette semaine sur "un aveuglement collectif" et j'ai revu dernièrement le film de Tavernier "Les valseuses" gros succès à l'époque, dans lequel Miou-Miou était traitée de façon absolument indigne. Les débuts de Depardieu...  Par ailleurs le nombre d'hommes qui vivent avec des femmes qu'ils ont prises au berceau renforce la légitimité de ceux qui sont attirés par les jeunes Lolita, qui ne sont pas comme Kubrick l'a illustré des aguicheuses mais bien, comme l'a montré Nabokov les victimes d'un prédateur pervers. 

Un homme ça s'empêche comme le disait Albert Camus.     

Au nombre des aberrations du patriarcat, l'écart des salaires et là encore les actrices étaient montées au créneau. Elles avaient manifesté sur les marches du  Festival de Cannes 2018 pour réclamer l'égalité salariale. Le différentiel dans certains cas est hallucinant.

Citons encore la conclusion de la tribune 

Nous savons qu’une autre façon de fonctionner est possible, que les avancées qu’apporte un mouvement comme celui de #MeToo offrent la perspective d’un monde dans lequel nous pourrons enfin tous et toutes travailler sans peur et offrir des films qui porteront l’enthousiasme d’une génération qui refuse les rapports de domination .

Notre voix ne fait que naître.

Osons dire que la mise en visibilité par celles qui sont habituées à s'exprimer publiquement doit parler au nom de toutes les femmes. J'ai personnellement subi de nombreuses agressions sexuelles dont j'ai pu me dépêtrer, mais aussi des formes d'abus de pouvoir qui m'ont coûté mon job faute d'avoir plié l'échine et je ne connais pas de femme qui puisse se vanter d'avoir échappé à ces abus, même quand les hommes qui utilisent leur pouvoir n'ont pas conscience qu'ils en usent impunément. Il est temps de démolir pierre à pierre un système qui par ailleurs soutient la déliquescence actuelle du monde où une poignée de puissants violent  tous les droits humains en toute impunité.

mercredi 31 janvier 2024

Trop de tout

 « (…) la vieillesse nous rend d’abord incapable d’entreprendre, mais non de désirer. Ce n’est que dans une troisième période que ceux qui vivent très vieux ont renoncé au désir, comme ils ont dû abandonner l’action. » Marcel Proust Albertine disparue, Gallimard, Volume XIII, page 268.

 



Dernièrement, dans le cadre du festival Telerama j'ai vu plusieurs films que j'avais manqués à leur sortie. La plupart  nous infligent de longues scènes de coït, plutôt pénibles lorsqu'elles se prolongent et sont scandées de halètements dignes des pires pornos. Ainsi Léa Drucker fautant avec son jeune beau-fils incarné par le ravissant Samuel Kircher, filmés par la revenante Catherine Breillat. L'été dernier a soulevé les foules cannoises. Est-ce parce qu'après tant de films où des hommes très matures s'affichent très librement avec des nymphettes, la situation inverse excite la libido de femmes plus agées (pas trop quand même). Le film a par ailleurs quelques qualités, il illustre bien comment la bourgeoisie peut tout se permettre tout en se maintenant à tout prix dans la conformité, au prix de mensonges et au détriment du jeune amant passionné qui doit oublier l'épisode amoureux pour permettre à sa belle-mère incestueuse de garder la face. Il endosse la figure du menteur et du névrosé, personne n'est dupe, mais la vie ordinaire peut reprendre ses droits

Autre cas de figure, le film de Monia Chokri   "Simple comme Sylvain"  .

 


 Un coup de foudre amoureux peut-il survivre quand l'appartenance socioculturelle différencie les amoureux. Le film montre en contraste la sexualité débridée entre un charpentier Sylvain (Pierre Yves Cardinal) et une professeure de philosophie Sophia (Magalie Lépine-Blondeau) et les temps d'échange où l'incompréhension domine. Absence de références communes, habitudes de comportement et de langage incongrues, les malentendus s'accumulent, le réflexe de classe surgit à l'impromptu. L'une est habituée au langage policé qui s'efforce d'abolir l'accent québécois, l'autre emploie toutes les expressions populaires (qui font ma joie par ailleurs). Sophie disserte à chacun de ses cours (délivrés auprès du troisième âge) sur l'amour en citant Platon, Spinoza ou Jankelevitch.  Sylvain aime la chasse ou la pêche et sait tout faire de ses grandes mains puissantes . Cette fois encore, scènes torrides longues, trop longues. Les paysages magnifiques d'automne et de neige et l'humour sauvent le film.

 


 

A l'opposé, les amoureux du film d'Aki Kaurismaki, Les feuilles mortes  se touchent à peine, se trouvent, se perdent. Ils partagent pourtant la même condition ouvrière, précaire, humiliante et c'est leur commune misère qui les rapproche et les éloigne. Lui est alcoolique et elle a horreur de l'alcoolisme. Cet amour tout en non dits, en rendez-vous manqués est émouvant justement parce qu'il échappe à ces attendus que sont les étereintes. Le film est un condensé de pudeur, mélancolique avec quelques pointes d'humour et beaucoup de références filmographiques dont la fin qu'on ne dévoilera pas.


 

Enfin, un film où il n'est pas question d'amour si ce n'est d'amour de la vie. La vie ordinaire d'un employé Hirayama (Kōji Yakusho) chargé du nettoyage des toilettes publiques de Tokyo, dont la répétition des journées, toutes identiques est présentée dans son rituel à part quelques menus incidents. Hirayama vit seul, est peu causant et consacre son temps libre à regarder les arbres, les photographier, cultiver ses plantes, écouter de la musique (bande son superbe) et lire. Lorsque sa nièce lui rend visite, il l'accueille avec bienveillance et lui fait partager sa vie de sobriété heureuse, "maintenant c'est maintenant" en contraste   avec celle qu'elle mène dans sa famille. On le comprend quand sa mère (la soeur d'Hirayama ) vient la chercher à bord de sa luxueuse voiture. Seule moment de vraie tristesse d'Hirayama. C'est une parabole évidemment, ce Perfect days fait l'apologie de la vie simple. Nous avons trop de choses. Hirayama a assez de tout. Ecoutez Wim Wenders. Comment sortir du piège, être au monde sans le sentiment de tout rater parce qu'il y a trop de tout.   

https://www.youtube.com/watch?v=O4TyJlB3tug


jeudi 4 janvier 2024

Aventures stressantes bien que minuscules

 Alors voilà, le 9 novembre, je préparais tranquillement mon repas du soir quand j'ai entendu un vrombissement que j'ai pris dans un premier temps pour un avion passant à basse altitude avant de découvrir que le feu s'était emparé du conduit de cheminée. Ce qu'en sortant j'ai pu constater à la vue de l'énorme fumée noire s'échappant au-dessus de la maison. Tremblante, j'ai composé le 18, les pompiers sont arrivés assez vite même si cela m'a semblé très long. Comme le portail de l'entrée ne permettait pas le passage du gros camion, ils ont dû dérouler une longue lance, ce qui a rallongé le temps pendant lequel ça ronflait dans le conduit. Puis, autre complication, le toit très glissant à cause de la pluie. Il leur a fallu installer un système permettant la sécurisation du pompier armé de la lance au moyen d'une  collègue allongée sur le sol, les pieds rivés au mur qui tirait ou relachait la corde de rappel. (Vous me connaissez, je me suis demandé pourquoi elle au sol et lui sur le toît mais ils avaient sans doute leurs raisons). En tout cas toute l'opération était sous la responsabilité d'un capitaine qui hurlait les ordres et m'avait demandé de sortir de la maison. J'ai tremblé jusqu'à ce qu'ils annoncent que la charpente était intacte. L'opération a duré une heure et demi dont le temps nécessaire pour aspirer l'eau répandue sur le plancher et la signature de l'attestation d'intervention. Je referme le portail l'humeur plus morose que jamais. Ensuite la série assurance et devis s'entame et j'en suis là. Je n'ai pas passé Noël avec un joyeux feu dans mon poêle qui selon tous les experts est extraordinaire. J'ai découvert que la cheminée était bistrée !!!

Merci messieurs les pompiers

 

J'ai découvert également que le poêle n'était pas tubé, alors que c'est obligatoire ce dont je ne me suis pas préoccupée puisque dans ma maison sur la colline, les deux poêles sont tubés conformément aux règlementations. Me voici donc partie pour un imbroglio. Expert, convocation de l'ex propriétaire et du ramonneur (qui avait opéré trois semaines auparavant, heureusement). Bref, que du bonheur ! Deux mois après, un rendez-vous est enfin arrêté pour la semaine prochaine.

Avant de complétement me retirer de mes activités antérieures, je suis allée à Las Palmas Gran Canaria pour le kick off (c'est de l'anglais, oui) d'un projet  réunissant huit universités européennes se proposant d'orienter les étudiants vers l'entrepreneuriat  social. Avec ma partenaire de l'université française nous avons eu une petite journée pour explorer la ville et surtout la plage où nous n'avons fait que marcher sur le sable et admirer les évolutions des surfeurs. Il faisait très bon, l'ile évolue entre 19 et 25 degrés toute l'année.


 

Après les deux journées consacrées au travail et avant de repartir, j'ai visité le Musée archéologique qui rassemble des éléments de la culture précolombienne, c'est à dire avant que les Espagnols parviennent à l'éradication des natifs, les aborigènes Guanches,  malgré 5 années de résistance acharnée, à mains nues.    Rattachée à la couronne espagnole en 1483,  en octobre 1595, la ville parvint à résister à une attaque des corsaires anglais Francis Drake et John Hawkins, mais quatre ans plus tard les Hollandais, sous les ordres de Pieter van der Does, ont saccagé et incendié la cité. (wikipédia). La routine en quelque sorte. Est-ce pour cela qu'une salle entière est consacrée à l'exposition de crânes ?

La salle des crânes

Habitat guanche


Casa de Colón

Petit incident de parcours, l'avion est parti en retard de Las Palmas. A Madrid, la correspondance pour Toulouse s'était envolée. Faire la queue pour obtenir une solution, un hôtel, attendre sur le trottoir l'arrivée de la navette pour l'hôtel, enfin à bon port juste à temps pour un repas avant la fermeture du restaurant, lever à 5 heures le lendemain, re navette, arrivée à Toulouse trop tard pour mon train, attente de deux heures supplémentaires, enfin accueillie mais rincée, deux jours au lit avec la crève. Petites misères.

Plus agréable, le tournant de l'année dans un studio prêté par une amie au bord de la méditérrannée, location de bicyclette pour une équipée entre Périac de Mer et Bages, deux jolis villages au bord de l'étang. Certes, une chute provoquée par une queue de poisson de mon compagnon pour éviter une automobile, heureusement sans gravité à part quelques bleus. Une occasion de vérifier que je suis solide.

L'étang Bages - Sigean

Le village Bages vu de la garrigue

Des courageux sacrifient à la tradition du bain le 31 décembre


Dernier coucher du soleil avant le passage à l'année suivante    



 Que cette année 2024 nous apporte à tous la paix et la joie. 

Nous sommes vivants!

 

  

    
 


jeudi 9 novembre 2023

Dégustations visuelles !

 J'ai partagé avec des amis un moment délicieux grâce à Yolande Moreau et son dernier film La fiancée du poète où on retrouve certains de ses complices des Deschiens, (François Morel, Philippe Duquesne dans des seconds rôles)  mais dans des rôles improbables Sergi Lopez et surtout William Sheller en abbé plus que border line. 


 

Yolande est Mireille une femme tabassée par la vie (elle a fait de la prison et a été abandonnée par l'amour de sa vie). Elle revient dans la maision familiale sur les bords de la Meuse et sert les repas au restaurant des Beaux Arts de Charleville Mézières. Pour vivre et entretenir la grande maison elle loue des chambres à un trio de bras cassés et les quatre larrons s'entendent bien et se réconfortent. Il n'est pas possible d'aller au-delà de ce descriptif sans déflorer l'histoire et gâter sa dégustation. Tout en effet se déguste de cet univers foutraque, de cette histoire abracadantesque et particulièrement allusions littéraires, musiques spirituelles et photographie magique. Hommage à  Irina Lubtchansky qui nous offre de pures merveilles et au montage qui autorise la lenteur. On sort du cinéma le coeur plein de la générosité qui imprègne chaque instant d'un film qui fait pourtant la part belle au mensonge, uniquement celui qui rend la vie plus belle. On peut écouter Yolande Moreau ici.

Autre film, autre histoire, autre leçon d'humanité "Second tour" de Dupontel. Au passage, j'aime bien les films d'acteurs qui se mettent en scène. Dupontel est un candidat à la présidence de la République en campagne à quelques jours de l'échéance. Par hasard, une journaliste placardisée pour cause d'insolence et mauvaise conduite (Cécile de France) est mobilisée avec son collègue (Nicolas Marié) pour suivre la campagne. Elle a une feuille de route avec les questions dont elle ne doit pas s'éloigner . Bien évidemment, elle va transgresser et découvrir le secret du candidat (qu'il ignore lui-même) et faire basculer une "campagne chiante" (sic) dans un tourbillon  d'événements tous plus improbables. On connaît le peu de crédit que Dupontel accorde à la politique politicienne mais son film aborde de multiples questions de société de façon drôle, légère, poétique et cependant profonde. Il annonce la couleur : comme il est dit dans son introduction, la seule manière de renverser le système est d'en faire partie. Mais le système ne lésine pas sur les moyens de barrer la route à ceux qui tentent de le renverser. C'est tout le propos du film.

 Second Tour (95’) - Film français d’Albert Dupontel

On peut rencontrer Dupontel qui se défend de toute intention moralisante. Il voulait créer une sorte de "roman de gare" dit-il. On souhaiterait que tous les auteurs de "roman de gare" aient son talent.

Ne pas oublier  notre vieux Ken Loach (87 ans) et son vieux chène "The old oak", une taverne fréquentée par des vieux mâles radoteurs. Une histoire d'amitié entre un vieil homme. TJ Ballantyne [Dave Turner] le tenancier  et une jeune femme syrienne immigrée Yara [Ebla Mari] . L'arrivée des immigrés dans le village défrise les habitants qui se sentent "envahis", alors même que le village est en perte de vitesse. La taverne elle-même est en mauvais état et son tenancier vieillisant sait qu'il ne pourra rien en tirer s'il cherche à la vendre. Evidemment une guerre sourde, à bas bruit va s'instaurer entre les deux communautés et Ken Loach filme au plus près les émois de ces "braves gens". Comme d'habitude, il met en scène la vie des gens pauvres, qui cherchent à s'en sortir par la solidarité, mais aussi qui développent des acrimonies à l'égard des étrangers. Scénario bien connu. Il en profite pour exposer dans l'arrière salle des photos des mineurs grévistes, dont les clients du pub ont fait partie et que la jeune photographe découvre avec émotion


Le film a été moins apprécié que les précédents, pourtant il est de la même veine, constat des dégats de la mondialisation et de la guerre qui ruinent les ouvriers au chômage et déversent sur les routes de l'exil les Syriens. On peut l'accuser d'angélisme, d'irréalisme, voire de mollesse ("un film morne" les Inrocks) . Pour ma part j'ai aimé la générosité opposée à la mesquinerie, la solidarité entre gens qui sont tous dans la dèche. La fin est un peu tire larmes, certes mais elle est aussi optimiste et en ces temps de déprime généralisée, ça fait du bien.

Enfin vu la série consacré à Agnès Varda sur Arte : "Sans toit ni loi" avec la jeune Sandrine Bonnaire (Mona) en vagabonde rebelle à toute obligation imposée, sale et joyeuse mais bien-sûr embarquée dans des plans dangereux et qui finit morte de froid dans un fossé. A l'opposé le film lumineux "L'une chante, l'autre pas" , deux films que j'avais appréciés. Le premier pour le jusqu'auboutisme du parti-pris et la manière de Varda. Elle suit son héroïne en même temps que les villageois et les marginaux que la jeune femme cotoient au cours de son errance qui témoignent du court moment où ils l'ont approchée. Le second parce qu'il décrit la vie de deux jeunes femmes dont l'amitié se scelle autour du drame de l'avortement subi avant la légalisation. Une ode à la sororité avant l'invention du terme sur un mode joyeux. J'avais oublié les chansons, je les ai ré écoutées avec plaisir.


 

Entre les deux, un documentaire "Viva Varda" ou Agnès se raconte au fil d'interviews collationnées et de témoignanges de ceux qui l'ont accompagnée dans sa quête d'images où fiction et documentaire s'entremèlent. Tous lui reconnaissent un tempérament autoritaire de celle qui sait où elle veut aller. Mais comme le dit l'un d'eux, "reprocherait-on à Godard ou à Truffaut leur autorité. Sa fin de vie est trufée de récompense, qu'elle reçoit avec malice et humour.Il ya aura eu un grand amour, Jacques Demy  même s'il a été chahuté par les amours homosexuels de Demy. Deux enfants qui prolongent son oeuvre (photographe, plasticienne, réalisatrice et scénariste).  Une belle vie de création.   

          

      

dimanche 15 octobre 2023

On se hache, on se harponne

 

 

Je fais partie de listes qui explosent sous les commentaires à l'égard de ce qui se passe au Moyen Orient. Chacun y va de son argumentaire, les uns condamnant sans ambiguité les assassinats de civils, les autres insistant sur le sort des malheureux habitants des territoires occupés, rappelant la longue histoire de la colonisation sous la protection occidentale de cette terre si emblématique des trois religions monothéistes qui n'ont cessé de s'entretuer depuis l'occupation romaine. Vous remarquerez que je ne cite pas à dessein le nom des lieux et des peuples concernés, parce que hélas il est préferable d'éviter d'en rajouter sur l'ensemble des arguties qui se répandent pendant que le sang et les larmes coulent à profusion. 

J'ai appelé au secours Victor Hugo qui dit bien mieux que je ne saurais le faire ce que je ressens face au gachis des vies épouvantées et anéanties. 

 
Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.

Les conseils du ciel immense,
Du lys pur, du nid doré
N'ôtent aucune démence
Du cœur de l'homme effaré

Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noires
Ont pour grelot le tambour.

La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants.


Notre bonheur est farouche ;
C'est de dire : Allons ! mourons !
Et c'est d'avoir à la bouche
La salive des clairons.

L'acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles, nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s'allument
Aux lumières des canons.

Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez,

Et que, dans le champ funeste,
Les chacals et les oiseaux,
Hideux, iront voir s'il reste
De la chair après vos os !

Aucun peuple ne tolère,
Qu'un autre vive à côté
Et l'on souffle la colère
Dans notre imbécilité.

C'est un Russe ! Égorge, assomme.
Un Croate! Feu roulant.
C'est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?

Celui-ci, je le supprime
Et m'en vais, le coeur serein,
Puisqu'il a commis le crime
De naître à droite du Rhin.

Rosbach ! Waterloo ! Vengeance !
L'homme, ivre d'un affreux bruit,
N'a plus d'autre intelligence
Que le massacre et la nuit.

On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l'ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.

On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L'épouvante se cramponne
Du poing aux crins des chevaux.

Et l'aube est là sur la plaine !
Oh ! j'admire, en vérité,
Qu'on puisse avoir de la haine
Quand l'alouette a chanté.

Victor Hugo - Liberté, égalité, fraternité
Chansons des rues et de bois (1865)
 

Le prix Nobel de la paix a été attribué, vendredi 6 octobre à Oslo, à la militante iranienne Narges Mohammadi, en détention depuis un an à Téhéran « pour son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous ».


 On espère - sans y croire- qu'elle sortira de prison. Mais la domination masculine et religieuse ne se laisse pas impressionner par les "colifichets des occidentaux. Elle risque fort de pâtir au contraire de cet éclairage. 
  
Enfin pour un point de vue très proche du mien, voir Sortir de l'enfer, Mona Chollet